Mon coup de gueule

Cela fait vingt ans que j’observe une lente dégringolade de l’enseignement à un poste bien placé, celui d’enseignant particulier couvrant tous les niveaux en sciences et dans toutes les filières. Cela m’a amené il y a déjà bien longtemps à anticiper un désastre qui est en train d’apparaître au grand jour, sous nos yeux, dans mon propre pays : une déconstruction de millénaires d’évolution de l’intelligence, s’étant concrétisée par l’invention d’une multitude de machines dont on ne saurait plus se passer, quoi qu’on en dise.

Les maîtres ont disparu, au sens, de personnes capables de montrer le chemin en espérant se faire dépasser par leurs disciples. Il n’y a plus que des animateurs tentant à coups de polycopiés de faire remplir des QCM débiles à des enfants médusés ou apathiques. La vocation, la vibration, l’œil qui regarde loin, bref l’humanité, tout cela a été emporté par une génération d’idiots convaincus que l’on apprend tout seul.

Bah oui, y a tout sur internet ! C’est comme le vomi, y a tout dedans, y a plus qu’à avaler. Sauf que la nourriture, quand elle est encore structurée et donc appétissante et désirable, pourvu qu’on ne soit pas trop mauvais cuisinier, passe facilement la barrière de l’estomac pour être digérée et incorporée à notre corps afin de le faire grandir. Il en va de même de la nourriture intellectuelle qui s’intègre au cerveau.

Que dire de ces enseignants qui se font les véhicules de la malbouffe intellectuelle. Oh certes je comprends Monsieur le professeur, vous avez une famille, une femme, des enfants, et bien moi aussi, et les élèves que vous avez, ils rêvent d’en fonder une pourvu qu’ils aient un jour la possibilité d’avoir un métier. Rien ne justifie de jouer de son autorité en méprisant ses élèves. Combien de cours bâclés, incompréhensibles, incohérents, combien de charrues avant les bœufs, combien de corrigés de contrôles tellement laconiques qu’ils sont inutiles, et le pire, combien d’absence de sens dans tout ce qui n’est plus qu’un catalogue hétéroclites de formules, dont je parie que nos futurs diplômés ne seront pas en faire un meilleur usage qu’une poule ferait d’un couteau.

Je frémis à l’idée que la sécurité des nos centrales nucléaires puisse être dans l’avenir assurée par des hommes ayant été formé avec si peu de sens de la rigueur. Les déconvenues risquent d’être redoutables. Nos universités et grandes écoles à l’origine de la formation de valeureux scientifiques (Gustave Eiffel pour ne citer qu’un « camarade » comme on dit chez nous) plongent dans les évaluations internationales. Pourra-t-on garantir une sécurité minimale exigible avec des individus formés à un apprentissage de surface et un zapping permanent ? Personnellement je crois que non, mais je ne suis pas devin.

Oui la technique est merveilleuse, oui la technique est sûre, oui le monde est organisé selon des lois, sinon nous n’aurions jamais pu poser notre peton sur la lune, mais l’homme qui développe ou utilise la technique n’est ni sûr, ni fiable, ni honnête, ni compétent car ce n’est pas un robot mais un être d’émotions et de sentiments, ce qui peut le conduire à l’aveuglement.

Tchernobyl, Fukushima, Bhopal et d’autres ne sont pas des problèmes liés au développement des techniques, ce sont des problèmes d’éducation de l’être humain. Voilà pourquoi l’enseignement est le pilier central du monde de demain. Bâcler l’éducation, c’est laisser le chaos s’installer, le retour à la pulsion et quand on manipule des choses hautement dangereuses, il vaut mieux que la pulsion soit contrôlée par la raison, ce qui suppose éducation.
Il ne servira à rien selon moi de faire une n ième réforme pour donner aux mathématiques, par exemple, un habit plus présentable, même si on met une personne de haute qualité pour en faire la publicité. Les mathématiques ne sont pas un divertissement propre à faire travailler l’esprit dans le vide sur des abstractions comme on le ferait avec un sudoku, c’est un outil indispensable pour entrer dans le monde de demain. D’autres pays l’ont compris et ils sont en pleine croissance.

Le problème n’est pas que nos étudiants boudent les mathématiques, car le problème n’est pas les mathématiques, mais le fait de cloisonner les enseignements. Les professeurs de physique utilisent l’outil intégral ou la fonction exponentielle en classe de terminale S sans que l’outil ait été développé en mathématiques. Il y a une incohérence profonde, cela s’appelle mettre la charrue avant les bœufs.

La seule façon, selon moi, de réconcilier nos enfants avec les savoirs, c’est d’abord de les enseigner dans l’ordre, et ensuite de les mettre en lien avec l’usage concret qui en est fait. Le théorème de Thalès permet de mesurer la hauteur d’un arbre, ou le diamètre de la lune, connaissant la distance terre lune obtenue par phénomène radar, qu’attend on alors pour mettre nos étudiants en contact avec le monde vrai, palpable avec notre sens premier, la vue, avant de leur asséner des schémas, des symboles et des règles abstraites.

Laissons ainsi nos enfants explorer, se tromper, jouer dans leur apprentissage et comme nous ne pouvons pas attendre à nouveau sept mille ans pour qu’ils redécouvrent la science, guidons les en dirigeant leur attention, ce qui suppose que nous soyons nous même suffisamment enthousiastes pour rivaliser avec cette petite boîte infernale qui phagocyte leur attention et qu’on appelle télévision ou plus généralement appareil multimédia.

Mais gardons nous de confondre, comme je ne le vois que trop dans des collèges ou lycée privés parfois « prestigieux », rigueur et rigidité, mettant une pression si insupportable sur de jeunes êtres en construction, que je suis persuadé que le harcèlement professionnel et le burn out ont encore de beaux jours devant eux. Les proviseurs de ces lycées arguent d’une discipline accrue et de notes sévères démoralisantes pour asseoir leur réputation et les professeurs de ces lycées sanctionnent durement le moindre changement de mot dans la formulation d’une règle. Il n’y a pas de meilleure définition de la rigidité. Et la rigidité n’a jamais été la source de la créativité, c’est tout le contraire puisque l’inventivité participe de la transgression, mais transgression éclairée par une méthode scientifique patiemment élaborée au fil des siècles, et non transgression stupide consistant à faire n’importe quoi pour se faire remarquer, ce qui est malheureusement la forme la plus répandue.

L’être humain a à résoudre dans sa vie un problème qui est pour lui un des plus difficiles au monde. Passer en temps que bébé d’une position assise stable et confortable, à une position debout puis marcher. Curieusement, chaque être humain a l’air de trouver comment résoudre ce problème, après un certains nombres d’erreurs, d’approximations, de corrections, d’essais renouvelés. Les bosses et les bleus ne semblent pas entamer la détermination du petit apprenant. Par quel miracle cela est il possible, Madame la Proviseure ? (j’aurais pu dire Monsieur, sinon on va croire que je suis sexiste). Eh bien, je vous le dis très simplement, par le miracle de la nature, par ce petit sourire encourageant de papa ou de maman, par ce désir de vie qui se renouvelle depuis l’éternité et ne s’éteindra jamais même si on souffle dessus pour l’éteindre, comme ces bougies facétieuses d’anniversaires.

Imaginez maintenant par une expérience de pensée que votre bébé sache parler avec un langage élaboré et que vous vouliez lui apprendre à marcher (nous supposerons qu’il sait se mettre debout) en lui demandant d’apprendre sur un schéma et en lisant un protocole du style : Lève le talon de ton pied de façon à faire un angle de trente degré par rapport à l’horizontale du sol qui est la perpendiculaire qui serait donnée par un fil pesant, puis lève l’avant de ton pied de cinq centimètres bien perpendiculairement au sol, penche ton buste en avant de dix degrés, etc… Il est fort probable qu’en essayant d’appliquer le protocole, on entende un grand « splash » et qu’après quelques tentatives, notre pauvre bébé ne veuille plus jamais apprendre à marcher.

Eh bien, c’est exactement ce qui se passe dans l’enseignement. Fort heureusement, la plupart des choses apprises à l’école ne sont pas utilisées par les professionnels qui ont du les apprendre avec beaucoup de sueur. Quel(le) psychologue utilise le test du khi2 ou bien la régression linéaire, quel ingénieur se sert de matrices hermitiennes ? Il n’y a que quelques rares métiers où on développe les nouvelles techniques où la bonne compréhension de ce savoir est indispensable. J’ai connu un ingénieur faisant du calcul dynamique sur de structures sans savoir vraiment ce qu’il calculait, l’important étant pour lui de savoir utiliser le logiciel et de pouvoir produire un rapport avec des chiffres.

Eh oui c’est ainsi, nombre de personnes se gargarisent de décibels sans vraiment savoir ce que sait. Mais l’important n’est il pas de savoir qu’à une valeur de cent, ça fait très mal aux oreilles. Non je blague, ça me semble tout à fait insuffisant pour aller dans le monde de demain et y relever les défis, qui seront humains pour une bonne part, mais technique pour une autre part, comme toujours. Prions de pouvoir faire l’économie de guerres et d’affrontements ravageurs pour le comprendre.

Non, il n’y a pas de fatalité, l’humanité tient, comme depuis toujours son destin en main et le chemin collectif ne pourra se tracer que si nous décidons de travailler en pleine coopération, avec le souci de valoriser ceux qui se donnent de la peine et non ceux qui trichent et pour l’heure, ces derniers jouissent encore d’un énorme vide crée par la démission des personnes responsables. Voir mon pays plonger dans les test internationaux ne m'enchante pas plus que vous alors réagissons et exigeons une école qui apprenne vraiment et qui ne soit pas qu'un simple système de reproduction d'une classe sociale.